Edition 2010

Thème : junk art ou art du déchet

  • Parrain : Edoh Lawson, créateur de luminaires-insectes à partir de bouteilles en plastique recyclées
  • Association bénéficiaire : Soleil d’Haïti (Lorient) qui gère la scolarisation de 146 enfants, repas compris, dans le plus grand et le plus dangereux bidonville de Port-au-Prince. Les fonds (400 euros pour 52 oeuvres) ont permis de couvrir les frais d’une semaine de scolarisation, salaire des enseignants compris. L’association gère aussi un atelier de femmes, spécialisé dans le recyclage des déchets, les parents des enfants scolarisés ayant l’obligation, en contrepartie de la prise en charge de leurs enfants, de ramasser les sacs plastiques qui pullulent dans la Cité du Soleil. L’atelier du bidonville les transforme en sacs à main, transats… http://www.soleildhaiti.org/
  • Lieu : Lorient, Péristyle, Zone d’éclatement provisoire (ZEP) d’Idées Détournées (l’art autour du déchet).
  • Musique et performances : introduction par une saynette de théâtre, participation du groupe Rade et Chants et des conteuses d’Il était une fois. Scène ouverte aux musiciens.

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Du junk art par les mots

Les mots de la récup’ de Sylvie Kerrec
« Les pochons et les pochtrons »

artdineries 2010 036Sylvie Kerrec a longtemps vécu à Lorient. Professeur de lettres dans un lycée nantais, elle a voulu créer une oeuvre qui soit à la fois plastique et littéraire. Résultat : une feuille de papier dans une vieille machine à écrire et des mots recyclés qui parlent au fond de chacun de nous, qui plus est s’il est lorientais et a fréquenté le Lycée Dupuy-de-Lôme. Un bel exemple de junk art par les mots.

Le texte a été joué par Sylvie Kerrec et un comédien angevin, Nicolas Germain, lors de l’édition 2013 des Artdineries.

« Qu’est-ce que tu fais ?
– Je cherche des mots. Je fais de la récup’ de mots, des mots oubliés, des mots que je n’emploie plus.
– Des mots de l’enfance ?
– Oui, de mon enfance.
– Caca boudin, par exemple ?
– Non, j’ai des enfants. Ces mots-là, je les ai employés il n’y a pas si longtemps. Tous les enfants les emploient ; toutes les mères les emploient ; ça fait tellement plaisir aux enfants. Non, ces mots-là, ce sont des mots de mon enfance. Des mots que j’ai partagés avec d’autres gens que je ne connaissais pas forcément mais qui habitaient la même ville que moi, le même quartier ».

« Va m’chercher une botte de poireaux. N’oublie pas de demander un pochon ».
« Est-ce que je pourrais avoir un pochon, madame ? » Bien polie, la petite. Pourtant, pochon, ça sent une drôle d’odeur ; ça sent la coche et le cochon, ça sent la poiscaille du sud Bretagne, ça sent son pochtron du samedi soir et de tous les autres soirs aussi. J’en ai senti l’odeur une fois partie, un peu plus tard, dans la ville où l’on fait des études.
« Est-ce que je pourrais avoir un pochon, madame ?
– Un… quoi ?
– Un sachet en plastique, madame ».

Mon pochon, il sentait pas bon. Il sentait Lorient et ses sardines ; ça sent fort le poisson, ça imprègne la peau et les vêtements, ça imprègne la langue. Voilà mon pochon envolé. Est-ce qu’il traîne toujours sur les plages de Lomener ou de Fort-Bloqué ? Je ne sais pas. Je n’y vais plus jamais.

Poche, pochon, pochtron… Grignou !  En voilà un autre mot que j’ai abandonné du côté des halles de Merville. Le samedi midi, en rentrant du lycée, je les voyais, je les sentais. Les grignous étaient allongés sur les bordures en pierre encerclant la rotonde qui abrite le marché. Ils sentaient la crasse et l’urine. De grandes flaques coulaient sur le trottoir. L’odeur de pisse se mêlait à l’odeur du poisson. Ils me faisaient un peu peur ; on ne voyait pas leur visage caché dans le col remonté de leur pardessus gris qu’ils portaient été comme hiver. Mais leur odeur, je la connaissais. Elle m’était familière. C’était l’odeur du chemin du lycée. Est-ce qu’il y a encore des grignous à Lorient ? Est-ce qu’ils sont devenus des S.D.F.? Ca sent moins fort, S.D.F. C’est plus convenable. Paraît que tout le monde peut en devenir un. Moi, adulte, je sais ça. Enfant, je n’aurais jamais pu imaginer devenir un grignou ; ça puait trop. Mais grignou, ça ne sent pas que la pisse et la crasse. Le grignou ne boit pas que de la vinasse ; le grignou a besoin de grigner et de grailler ; ça s’entend. Un S.D.F. n’a pas de domicile mais c’est sûr, il n’a pas faim. Le grignou, lui, il pue et il manque de tout. Pochon, grignou… deux mots, deux petits mots récupérés dans ma décharge personnelle, mon dépotoir à mots.

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